En marge du Symposium des Têtes couronnées d’Afrique d’Abidjan, les professeurs Charles Binam Bikoï, Antoine Manda Tchebwa, en visite à l’Université Charles Montesquieu d’Abidjan, le 10 septembre 2018

Reçu à la mode akan, comme il sait le faire, le Grand Chancelier de l’Université Charles Montesquieu d’Abidjan, le professeur Amoa Urbain, a ouvert ses portes à deux hôtes de marque : les professeurs Charles Binam Bikoï, Secrétaire Exécutif du CERDOTOLA, et Antoine Manda Tchebwa, Directeur Général du CICIBA. Une visite de courtoisie, occasion des retrouvailles entre des esprits portés vers les vertus de la tradition africaine, que les trois personnalités ont en partage.

Première impression : ce qui, hier sous le lexème « temps libre », était encore un chantier porteur d’une grande promesse est devenue aujourd’hui, une grande université. Lieu où le savoir académique, à l’image du maître des lieux, s’acquiert dans la pure tradition scientifique. Avec, en plus, une touche africaine dans le comportement.

Car le grand chancelier est un Africain absolu, élevé à la source du savoir ancien. Auprès d’Amoa Urbain, l’apprenant se doit d’intégrer dans son exister les vertus du sankofa. Néologisme qui, aux dires du grand maître de la discursivité et élégance langagière Amoa, tient d’une exigence du retour aux valeurs premières, fondatrices de l’Afrique des origines sans avoir à subodorer quelque quiproquo.

Sakofa ? C’est bien simple : « retourner loin dans son propre passé, pour y puiser ce qu’il y a de plus beau dans l’unique dessein de venir aider à bâtir un monde nouveau. » dans cette entreprise du retour aux valeurs matricielles, il y a qui plus est, dans l’écoute cordiale de l’Autre et son environnement, désir assumé de « s’imprégner de l’intelligence du contexte dans lequel l’autre s’offre à nous ». En résumé, le sankofa s’articule autour des trois séquences actancielles : « Retourne, va, prend ».

Ici l’élégance langagière, l’esthétique qui sous-tend la bonne communication, dans la culture akan, telle que promue par le Grand Chancelier, permet de consolider l’idée qui, par essence, fait de l’Etre africain un Etre qui « échappe à toute velléité d’enfermement ». Ici, dans l’environnement du professeur Amoa Urbain, l’être est beau tout autant par son élégance langagière que par son esthétique existentielle. Si « la bonne parole, c’est la parole de raison », elle est davantage une raison de sublimer la parole porteuse de vertus de fraternisation dans un devoir d’humanisation des rapports sociaux.

Cette exigence vous déjà dans la manière de l’accueil des hôtes, dans l’échange d’amabilité, où chaque formule de politesse et de fraternité obéit à un ordonnancement rituel précis. Où, enfin, se construit la vraie civilité à l’africaine.

Cet après-midi-là, hôte d’un jour et ami de toujours de l’université Montesquieu d’Abidjan, Charles Binam Bikoï et Manda Tchebwa ont le plaisir d’éprouver cette savoureuse expérience de la civilité akan. Déjà par la manière d’asseoir les invités : céder sa place d’honneur est un au-delà d’un discours de sociabilité qui affirme l’estime que l’hôte concède à ses visiteurs. Puis vient la séquence où l’on s’enquiert des nouvelles que l’on apporte. Rituel, très hiérarchisé qui, transite par des porteurs de paroles ou d’ordres attitrés veillant à la fidélité des propos, sous l’œil vigilant du maître.  Au cœur de la gestion de la parole, tout est fait en sorte que n’y prédomine que des propos utiles, fraternisant, de bonne foi et de vertu.

La présence de ses hôtes, s’inscrivant dans le cadre du Colloque international sur « Le rôle des autorités traditionnelles et coutumières en matière de préservation de la paix, de stabilité et de sécurité dans nos Etats », inspire une réflexion personnelle qu’il a engagée de longue date dans le cadre de son Festival International de la Route des Rois. Pour lui, « être chef c’est avant tout, savoir gérer la cité et savoir s’en donner les moyens quant à ce. Univers-village, réel ou virtuel, le village est le symbole de l’unité organique social et par conséquent un microcosme. Ainsi l’homme qui aura su conduire femmes et enfants vers la paix dans son foyer, à cet homme qui aura donc su faire ses preuves dans un microsystème qu’est la tribu, le clan ou la canton. Etre chef, c’est donc s’offrir par ses efforts et son travail un bien-être de référence. Etre chef aussi, c’est savoir concilier et le cas échéant, réconcilier grâce à une parfaite maîtrise des techniques de la palabre africaine dont l’une des variantes actuelles est le brainstorming (ou le remue méninge). Etre chef c’est savoir se taire en public car lourdes sont les conséquences du discours du chef. Le silence est donc une vertu essentielle pour le chef dont le comportement et la parole sont soignés pour servir de modèle. Le chef c’est un modèle : pour son peuple ».

Discours de sagesse et d’autorité qui résonne comme une contribution au Colloque annoncé, où l’ombre du chancelier, Amoa, invité de longue date à un autre rendez-vous du savoir à l’étranger, planera en filigrane.

Ce à quoi, au nom de nos deux Institutions, CICIBA et CERDOTOLA, le professeur Binam, répliquera en remerciant notre hôte commun pour la qualité de l’accueil. Dans une brève réflexion sur le devoir des institutions de recherche africaines, il insistera sur la solidarité, ainsi que le devoir de vigie qui incombe à l’élite dans ses rapports avec des partenaires aussi « délicats » que sont nos autorités traditionnelles. C’est en accompagnant nos « Garants de la tradition » avec les ressources de notre intelligence que nous fructifierons ensemble les ressources de l’âme africaine. L’Afrique a l’obligeant devoir de se reconnecter avec ses propres valeurs et stratégies traditionnelles de prévention et de règlement des conflits. A cette fin, il nous retracer et nous réapproprier ses repères historiques. En ce temps de refondation et de la renaissance culturelle de l’Afrique, l’unité des Autorités traditionnelles est un gage pour la stabilité des peuples au sein des différentes enceintes culturelles. Toute alternative à l’instabilité sociétale ne peut pas être seulement « mise en place qu’imaginée », elle se doit d’être « mise en place parce qu’imaginée » de manière formelle et suffisamment questionnée.

Après cet échange, un tour de la maison permet aux deux visiteurs du jour de toucher du doigt les progrès accomplis par l’Université Montesquieu en terme d’aménagement d’espaces, attesté par l’extension bien visibles de ses locaux, les projets de numérisation des infrastructures de recherche et l’ouverture dès la prochaine rentrée académique de nouvelles filières de formation.

A la fin, une photo de famille vient à marquer durablement l’instant de ces retrouvailles, qui ne vont sûrement pas s’arrêter ici. Car de cette visite, et ses promesses optimistes de collaboration, est née l’idée d’envisager un accord de partenariat avec nos institutions. Demain…  Peut-être, après-demain.

(c) Pr Antoine Manda Tchebwa

En marge du Congrès des Têtes couronnées d’Afrique d’Abidjan